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3.1 La période précoloniale Au premier millénaire de notre ère, des agriculteurs bantous pénétrèrent dans le pays et s'établirent dans la zone côtière ainsi que sur les plateaux orientaux et méridionaux. En 1482, les Portugais établirent un premier contact avec le royaume bantou du Congo. Il semble qu’à son apogée le royaume s’étendait de l'actuel Angola jusqu'au Gabon. En 1489, une ambassade du royaume du Congo rendit visite au roi du Portugal et, en 1490, des missionnaires franciscains et des artisans portugais s'installèrent dans la région. Alfonso, fils du premier roi converti, devint roi du Congo en 1507 et entreprit de christianiser le royaume. Cependant, le royaume déclina, puis s'effaça, alors que les Portugais se tournaient vers le Sud, en Angola, où la traite des Noirs rencontrait moins de difficultés. Dès cette époque, d’autres Européens et des Arabes de l'île de Zanzibar (à l'est de la Tanzanie) pratiquèrent néanmoins l’esclavagisme dans la région du Congo, mais ils ne s’installèrent pas. En fait, l’occupation européenne fut tardive, elle ne commença qu’à la fin du XIXe siècle lorsque l’explorateur britannique Henry Morton Stanley explora le fleuve Congo entre 1874 et 1877. Il créa des pôles d’échanges commerciaux avec les populations bantoues. Au même moment, le roi Léopold II de Belgique réunit au Palais de Bruxelles une conférence internationale composée de savants, de géographes et d'explorateurs, et axée sur la découverte de l'Afrique centrale. Il en sortira (1877) l’Association internationale pour la civilisation et l'exploration de l'Afrique centrale. En 1978, il créa, avec le concours de Stanley, le Comité d'études du Haut-Congo, transformé en 1879 en Association internationale du Congo dont l’objectif était «d’ouvrir l’Afrique à la civilisation et d’abolir la traite des esclaves». Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa), du nom du roi des Belges, fut fondée en 1881 par l'explorateur anglo-américain Henry Stanley, qui baptisa cet entrepôt de marchandises sur le Congo. Alors que la France et le Portugal revendiquaient une partie des territoires du Congo, la Conférence de Berlin de 1885 reconnut la souveraineté de Léopold II sur le Congo, qui devint l’État libre du Congo, une possession personnelle du souverain belge ayant comme capitale la ville de Boma. Lorsque quand Léopold II reçu le Congo, il l'a d'abord proposé à la Belgique comme colonie, mais le 3.2 La période léopoldienne (1885-1908)
À partir de 1885, l'État indépendant fut soumis à l'exploitation de compagnies qui organisaient la collecte du caoutchouc. Certaines des richesses accumulées servirent à construire des bâtiments prestigieux à Bruxelles à Anvers et à Ostende. Cependant, Léopold II se forgea une triste réputation en raison non seulement des travaux forcés imposés aux Congolais, mais aussi à cause des mutilations faites aux femmes et aux enfants (mains ou pieds coupés) qui ne respectaient pas les quotas de production, des impôts en nature, des massacres des habitants, sans parler du pillage de l’ivoire et du caoutchouc. En raison des excès commis par les Blancs en Afrique, la réputation de Léopold II et son oeuvre d'outre-mer furent sérieusement remises en cause. Le roi institua une commission internationale d'enquête (1904) qui publia en novembre de l’année suivante un rapport accablant dans lequel on reconnut «les mérites de l'action royale au Congo», tout en relevant «des abus et des lacunes» de la part des colons et des milices. À l’époque, les atrocités commises au Congo et dévoilées surtout par le consul britannique au Congo, Roger Casement, soulevèrent l’indignation dans toute l’Europe. En 1908, le Parlement belge décida que l'on ne pouvait confier une colonie à la seule autorité du roi; Léopold II dut céder «l’État libre du Congo» à la Belgique qui ne pouvait refuser l'offre. De cette «période léopoldienne», il n’est pas resté grand-chose, sinon l’introduction de la langue française dans le pays en même temps que les colons belges et un modèle d’administration brutale (mais pas plus qu'ailleurs!) dont s’inspireront plus tard les dirigeants noirs du Congo (p. ex., Mobutu et Kabila). Les Belges de l’État libre du Congo n'ont jamais favorisé l'apprentissage du français par les «indigènes», qui restèrent à l’écart de l’Administration. Tous les manuels d’histoire coloniale présentèrent par la suite Léopold II comme un «grand bienfaiteur des peuples noirs». 3.3 Le Congo belge (1908-1960) En 1908, la Belgique fit officiellement du Congo une colonie — appelée Congo belge — dont les éléments essentiels reposèrent sur l’Administration, les missions chrétiennes et les compagnies capitalistes, sans oublier l’armée belge. La croissance économique du Congo belge se développa considérablement (grâce à la production du cuivre et du diamant), mais en fonction des intérêts coloniaux et du capital étranger, non pour répondre avant tout aux besoins de la population indigène. On peut même affirmer que l’entrée en scène de la Belgique ne changea pas grand-chose, car le régime d’exploitation et de travaux forcés s'est poursuivi. De plus, quantité de chefs coutumiers congolais, accusés de remettre en cause l’ordre colonial, furent pendus pour servir d’exemple. En 1920, Léopoldville remplaça Boma au rang de capitale du Congo belge. Seules des pratiques administratives régirent le statut des langues au Congo belge. Le français et le flamand (appelé aujourd'hui néerlandais) furent les deux langues officielles de la colonie. À l'exemple de la Belgique, il y a même eu des projets de partage du Congo belge en une «zone francophone» et une «zone flamande». Le domaine de l’enseignement relevant des missions catholiques et protestantes, les religieux et les administrateurs ne voulurent guère favoriser l'apprentissage du français ou du néerlandais par les «indigènes». En 1929, une brochure du gouvernement colonial précisait même que la «langue indigène enseignée» dans les écoles primaires était l'une des quatre langues nationales (swahili, kikongo, lingala et tshiluba), dans le but avoué de «ne pas déraciner les indigènes». Le rôle de ces langues semble même avoir été prépondérant par rapport au français et au flamand (néerlandais), notamment dans les domaines de l'éducation et des communications destinées à la population. Les deux langues officielles de la colonie demeuraient hors de portée pour la plupart des Congolais. Les enseignants belges laissaient croire aux petits Congolais que leur langue était «une créature de Dieu» et qu’à ce titre elle devait être respectée. Dans les faits, seul le français restait la langue de l'Administration coloniale ainsi que des écoles secondaires. Or, étant donné que le français n’était pratiquement pas accessible aux Congolais, la colonisation belge ne suscita pas l’émergence d’élites administratives et politiques locales; la coexistence entre les Blancs et les Noirs ressemblaient à une sorte d’apartheid, celle-ci étant tempérée quelque peu par la présence des missions chrétiennes. À la fin des années cinquante, le domaine de l’éducation, resté le monopole des missions catholiques, n’avait produit que 15 universitaires congolais, aucun médecin ni ingénieur, mais avait formé plus de 500 prêtres autochtones! Les Noirs congolais les plus instruits étaient devenus des imprimeurs, charpentiers, mécaniciens, infirmiers, menuisiers, etc. Le français et le néerlandais étaient enseignés dans les écoles d'État qui formaient les fonctionnaires d’origine belge; il existait aussi des écoles d’État pour le primaire et le secondaire (en français ou en néerlandais) à l’intention des enfants des Blancs, notamment à Stanleyville, Élisabethville, et Panda-Likasi. Dans les séminaires, les futurs prêtres congolais apprenaient le français et le latin. Le Congo belge s’est donc trouvé dépourvu du personnel politique et technique prêt à prendre la relève, lorsque les autres pays firent leurs premiers pas vers l’indépendance. L’institut colonial d’Anvers avait déjà en 1955 prévenu le gouvernement belge qu’une durée de trente ans serait nécessaire pour former une classe dirigeante capable d'assumer le pouvoir. Mais tout se passa trop vite! Les premières revendications indépendantistes se manifestèrent dès 1955. En janvier 1959, des émeutes éclatèrent à Léopoldville. Les autorités belges y répondirent par une table ronde réunissant les principaux dirigeants congolais à Bruxelles. Le gouvernement belge annonça un programme visant à former les élites congolaises à l’Administration, planifia l’organisation d’élections locales en vue de la formation d’un gouvernement congolais et s’engagea à conduire le pays vers l’indépendance. Celle-ci fut fixée par le Parlement belge au 30 juin 1960. La plupart des Européens résidant au Congo belge étaient déjà partis en 1959 lors des premières émeutes. Contrairement aux grandes puissances coloniales (France et Royaume-Uni), l'impérialisme belge n'a pu préparé la décolonisation en sélectionnant, par exemple dans la population autochtone, des successeurs (ou «serviteurs») politiques et militaires aptes à assurer la continuité étatique après le départ des autorités coloniales. Ce fut l'improvisation, à l'exemple de la décolonisation portugaise qui se produisit quinze ans plus tard. On croit aussi que les Nations unies avaient exercer des pressions auprès de la Belgique pour que celle-ci accorde l'indépendance plus tôt que prévu. La campagne électorale qui suivit fit apparaître un clivage entre les tenants d’une solution confédérale avec la Belgique et les partisans d’un État congolais fort et centralisé représentés par Patrice Lumumba, le chef du Mouvement national congolais (MNC). 3.4 Les douloureux lendemains de l’indépendance (1960-1966) En mai 1960, les élections donnèrent la victoire au Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba, qui céda la présidence à Joseph Kasavubu après la proclamation de l’indépendance, à Léopoldville, le 30 juin 1960. Lumumba fut nommé premier ministre. Puis, les violences se multiplièrent, tandis que les partis politiques exclus du gouvernement contribuaient à attiser le feu, que plusieurs provinces demandaient leur indépendance (dont la province du Katanga) et que se révoltaient les forces armées congolaises. Effectivement, dès juillet 1960, la province du Katanga, avec à sa tête Moïse Tshombé, fit sécession; dans le Kasaï du Sud, des tentatives sécessionnistes et de morcellement du territoire se firent sentir; le 14 septembre 1960, le colonel Joseph-Désiré Mobutu tenta un premier coup d’État avec le soutien de la CIA américaine. L’horrible guerre civile qui s’ensuivit sur l’ensemble du territoire fut marquée par l’intervention des mercenaires étrangers (belges, français et sud-africains), de casques bleus de l’ONU et par l’assassinat de Patrice Lumumba (en janvier 1961). La sécession katangaise prit fin en 1963, mais la rébellion des lumumbistes se poursuivit jusqu’en 1964. À la fin de 1964, le commandant en chef, le colonel Mobutu, s’empara du pouvoir et, après avoir déposé le président Kasavubu, se proclama lui-même président du Congo belge. En 1960, la première Constitution du Congo belge (encore appelé ainsi à l'époque), déclara le français comme seule langue officielle, le néerlandais étant aussitôt évacué. En 1962, une ordonnance présidentielle, l’ordonnance no 174, écarta les langues congolaises de l'école. Le français devint l’unique langue de l'enseignement du secteur primaire. Le recours à l’une des langues congolaises en cas de nécessité pédagogique fut réglementé par un programme national. Certains facteurs ont joué en faveur de la consécration du français. Les nouveaux dirigeants politiques ont voulu conjurer le tribalisme et le pluralisme linguistique en favorisant l'emploi d'une «langue unificatrice». De plus, la forte centralisation administrative rendait nécessaire le recours à une langue considérée comme «neutre» parce que «non congolaise». Enfin, la valorisation sociale du français, jadis refusée aux «indigènes», exerça une profonde attraction chez les Congolais francophiles qui désiraient s'approprier cette langue prestigieuse et génératrice de développement économique. 3.5 Mobutu et la politique de l'authenticité (1965-1997) Lorsque le colonel Mobutu Sese Seko — Joseph-Désiré Mobutu dit Sese Seko Kuku Ngbendu Waza Banga, ce qui signifie «guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter» — prit le pouvoir en 1965, appuyé par des États extérieurs (dont la Belgique, la France et les États-Unis), il instaura un régime autoritaire de type présidentiel fondé sur un parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), et entériné par une nouvelle constitution en 1967. Avec l'arrivée au pouvoir du président Mobutu, apparut le concept officiel du «recours à l'authenticité». Cette authenticité fut définie comme le désir d'affirmer l'«africanité congolaise» et le refus d'adopter les valeurs venues d'ailleurs (l'Occident). En 1970, Mobutu devenu général, élu pour un mandat présidentiel de sept ans, lança un vaste programme d'africanisation. - La zaïrisation linguistique
Cette idéologie du recours à l'authenticité entraîna apparemment la valorisation des langues nationales; elle remit en question le monopole du français. Le domaine de l'enseignement fut particulièrement touché. Après avoir été exclues depuis 1962, les quatre langues nationales — swahili, lingala, kikongo et tshiluba — furent réintégrées officiellement partout au pays dans l'enseignement primaire. Toutefois, cet enseignement resta confiné aux deux premières années du primaire. La politique du recours à l'authenticité suscita des espoirs légitimes en matière de valorisation des langues nationales. Beaucoup crurent que cette idéologie allait évoluer vers une prise de position sans équivoque en faveur des langues nationales non seulement dans l'éducation, mais dans l'administration, la presse écrite, la télévision, etc. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé. Des pressions politiques et économiques ont freiné l'expansion des langues nationales au Zaïre. Le discours officiel alla dans le sens de la promotion des langues nationales, mais les comportements des dirigeants furent caractérisés par l'hésitation, la prudence et l'attentisme. La population zaïroise ne comprit pas toujours pourquoi le discours apologétique officiel sur «l'authenticité africaine» ne s’est pas transposé davantage dans la réalité et, surtout, comment il aurait pu être compatible avec le modèle occidental perpétué par ceux-là même qui le décriaient. Beaucoup soupçonnèrent les dirigeants politiques de vouloir récupérer les valeurs ancestrales à des fins strictement personnelles et partisanes. Autrement dit, pour que le recours à l'authenticité devienne un nouvel ordre linguistique, il aurait fallu qu'il dépasse les formes superficielles et limitées des termes africanisés, et qu'il consacrât les langues nationales comme des facteurs de développement sociale et économique. Ce n’est pas ce qu’a voulu le maréchal-président Mobutu. - La francisation post-coloniale Malgré la zaïrisation linguistique, le français revint en force et fut enseigné à l'oral en raison d'une demi-heure par jour dès les deux premières années du primaire. Il fut introduit progressivement à l'écrit en troisième année pour devenir l'unique langue d'enseignement en cinquième année. Au secondaire, les langues nationales n’ont jamais été enseignées. Une nouvelle constitution fut adoptée en 1990, alors que le président Mobutu annonçait la mise en place du multipartisme et, suite à de nombreuses manifestations anti-Mobutu, la convocation d’une conférence nationale. Près de 200 partis, dont plusieurs créés sur des bases ethniques, y participèrent, mais la conférence fut suspendue en janvier 1992. On ne trouve aucune disposition à caractère linguistique dans la Constitution de 1990. Autrement dit, le français était devenu la langue officielle de facto. La nouvelle Constitution de 1994 proclama ainsi la langue officielle du pays: «Sans préjudice des langues nationales, sa langue officielle est le français.» Aucune disposition ne traitait des quatre langues nationales — swahili, lingala, kikongo et tshiluba. En fait, durant tout le régime Mobutu, aucune loi n'a même été adoptée pour reconnaître officiellement ces langues. Le statut «national» de ces langues en fut un de facto plutôt que de droit, étant donné qu'aucun texte juridique ne le consacrait. Le français est devenu non seulement l’unique langue du Parlement (quand il fonctionnait) et du gouvernement, mais aussi celle de l'Administration, de la justice, de l'école, de la grande presse, du travail, etc., au détriment des langues nationales. C'est ce qui fait dire à Mwatha Musanji Ngalasso, un linguiste d’origine congolaise: «De ce point de vue-là, la francophonie, dans ce qu'elle a aujourd'hui de plus conquérant, est bien une invention post-coloniale.» Cette politique de francisation s'est poursuivie, essentiellement par décrets, jusque vers le milieu des années soixante-dix. De fait, les Belges n’ont jamais voulu ni imposer le français aux «indigènes» sous prétexte de ne pas les «déraciner». - La fin du régime mobutiste Les 32 ans de régime autoritaire avaient rendu Mobutu (promu maréchal en 1982) très impopulaire. Sa garde présidentielle mono-ethnique, composée uniquement d’éléments originaires de son village ou de son ethnie, et l’Armée nationale (composée en grande partie de mercenaires) avaient répandu la terreur et assuré la dictature du maréchal-président. Celui-ci aimait déclarer que «les Zaïrois me doivent tout», mais en 1997 le Zaïre en était au même point qu’au moment de la décolonisation. En effet, le PIB équivalait fondamentalement à celui de 1958, alors que la population avait triplé, le revenu fiscal représentait moins de 4 % du PIB contre 17 % avant l'indépendance, la plupart des entreprises étaient acculées à la faillite, le poids de la dette extérieure continuait à compromettre les initiatives et politiques de développement et à miner les possibilités de croissance. Le Zaïre était saigné à blanc! On estime par ailleurs que, de 1908 à 1997, plus de 10 millions de Zaïrois/Congolais auraient été massacrés par les autorités en place (Léopold II, Congo belge et Mobutu). Rappelons qu'en avril 1995 le Parlement zaïrois adoptait une série de résolutions statuant que tous les «Zaïrois d'origine rwandaise», particulièrement les Banyamulengés, avaient dorénavant le statut de «réfugiés». Ces résolutions laissaient entendre que les Banyamulengés, ces Zaïrois tutsis d'origine rwandaise, avaient acquis la nationalité zaïroise «de manière frauduleuse». La nationalité zaïroise n'était plus accordée qu'à ceux qui pouvaient prouver que leurs ancêtres vivaient au Zaïre avant 1885. Sinon ils perdaient ainsi leurs droits de citoyens comme celui de posséder des propriétés, de se présenter aux élections ou se porter candidat à des postes administratifs, etc. Évidemment, les Banyamulengés se sont sentis menacés par la mise en oeuvre de ces mesures; beaucoup ont pris les armes et déclencher en octobre 1996 une rébellion contre le gouvernement zaïrois. Ancien compagnon de Patrice Lumumba ayant survécu grâce à la guérilla et à divers trafics, Laurent-Désiré Kabila fut choisi en 1996 par l’Ouganda (Yoweri Museveni), le Rwanda (Paul Kagame) et le Burundi (Pierre Buyoya), tous alliés des États-Unis, pour occuper la succession de Mobutu. L’année suivante, la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, aidée militairement par l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et l’Angola, entra dans Kinshasa et chassa le président Mobutu (17 mai 1997), lequel se réfugia au Maroc pour y décéder deux mois plus tard. 3.6 Kabila Ier (1997-2001): un changement de dictature Après sa prise du pouvoir, Laurent-Désiré Kabila, le chef de l'Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (ADFL), mais aussi trafiqueur d’or, de diamant et d’ivoire, suspendit toutes les institutions congolaises, notamment le Parlement, les partis d’opposition et la Constitution, puis forma un gouvernement constitué de nouvelles personnalités, puis nomma des étrangers originaires du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda (les pays «parrains») à des postes stratégiques, tout en assumant seul les pouvoirs législatif et exécutif.
Pourtant, le président Laurent-Désiré Kabila avait pris le pouvoir en promettant de mettre fin à 32 ans de dictature et de violations des droits humains commises sous le régime de son prédécesseur. En réalité, les avancées limitées dans le domaine des libertés fondamentales, dont la population du Congo-Kinshasa avait bénéficié depuis 1990, se sont systématiquement dégradées à partir de 1997; du moins, telle a été la conclusion des délégués d'Amnistie internationale, qui se sont rendus en visite dans la RDC au mois d'août 1999. Cela étant dit, à plusieurs reprises depuis 1997, les autorités congolaises ont maintes fois proclamé dans des «déclarations politiques» qu'elles reconnaissaient les principes édictés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et les «pactes internationaux». Par la suite, plus personne ne se fit d'illusion sur les intentions absolutistes du nouveau dictateur. L’«enfer mobutiste» continua de plus bel, alors que le pays était toujours aux prises avec la guerre civile. En 1998, le président Laurent-Désiré Kabila se tourna contre ses «parrains» (l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi) qui occupaient encore l’est et le nord du pays. Il renvoya dans leur pays tous les soldats rwandais, ce qui mettait fin à toute relation avec l’un des alliés qui, avec l'Ouganda, lui avait permis de prendre le pouvoir en 1997. Or, le Rwanda et l'Ouganda ont réagi en envahissant le Congo-Kinshasa et en s'alliant avec une branche rebelle des Forces armées congolaises (FAC) basée à Goma et Bukavu. Pour financer ce qu’on a appelé l’«effort de guerre», c’est-à-dire le paiement des mercenaires qui appuyaient le régime, les ventes de diamant, de cobalt et de pétrole furent largement mises à contribution. Pendant ce temps, l’Angola, le Zimbawe, la Namibie et le Tchad, alliés du pouvoir en place, occupaient l’est du pays, tandis que les nouveaux opposants au régime, le Rwanda hutu et l’Ouganda, contrôlaient presque tout l’Ouest, ces deux derniers pays considérant le Congo comme une importante base d’opérations pour les rebelles hutus qui combattaient le régime du FPR (Front patriotique rwandais). La plupart des acteurs de cette guerre, surtout le Rwanda, l’Ouganda et le Zimbabwe, en profitèrent pour piller les richesses minières des zones dont ils avaient le contrôle, évidemment le tout avec les apparences de la légalité. En fait, des provinces entières (p. ex., l’Équateur, le Katanga, le Kivu du Nord, le Kivu du Sud, le Maniema et le Kasaï oriental) sont passées sous contrôle étranger, c'est-à-dire presque la moitié du territoire national. Beaucoup de Congolais constatèrent que ces territoires étaient désormais gérés par l’Ouganda et le Rwanda comme des «protectorats» mis à leur disposition. Des colonies de peuplement tutsis s'y sont constituées et, estimèrent des associations locales, un plan secret prévoyait une réduction des populations autochtones bantoues. En plus du Rwanda, de l’Ouganda, de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie, plusieurs autres pays sont intervenus directement ou indirectement dans le conflit au Congo-Kinshasa: le Burundi, le Tchad, le Soudan et l’Érythrée. La France, pour sa part, a été accusée d’apporter une assistance alimentaire aux rebelles sous formes d’«aides humanitaires» et les États-Unis, de leur côté, de former les militaires rwandais, ougandais et rebelles, auxquels ils apportent une aide logistique et financière. Enfin, l’Afrique du Sud est accusée d’assurer un appui militaire important au Rwanda et aux rebelles du Congo, et d’assumer la réparation des appareils militaires d'origine sud-africain. Pour bien des observateurs, la présence des 40 000 soldats angolais, zimbabwéens, namibiens et tchadiens (sans oublier l’appui logistique de la Libye) aux côtés des Congolais rappellerait celle des soldats français, belges et marocains aux côtés des Zaïrois à l’époque de Mobutu; on pourrait rappeler aussi la participation des milices togolaises, maliennes et sénégalaises à l’époque de Léopold II. Certains considèrent que la Belgique porte encore aujourd’hui une importante responsabilité dans la crise congolaise du fait de sa politique coloniale qui semble persister au-delà de la décolonisation dans ce pays en décomposition. Quoi qu’il en soit, Laurent-Désiré Kabila, le successeur de Joseph-Désiré Mobutu, fut abattu, le 16 janvier 2001, par l'un de ses colonels qu’il venait de limoger. Le règne de Laurent-Désiré Kabila ne s'est pas caractérisé par une politique linguistique autre que la non-intervention, contrairement à celui de son prédécesseur qui a voulu «zaïriser» tout le pays. 3.7 Kabila II Après quelques jours de désarroi et de tension autour de la mort de Kabila Ier surnommé depuis le Mzee (le «Sage»), le «Parlement provisoire» du Congo-Kinshasa choisit alors la «solution dynastique» et proclama, le 24 janvier 2001, en tant que «président de la République» le général-major Joseph Kabila, fils aîné du président assassiné. Ce jeune inconnu, alors âgé de 29 ans, est resté encadré par un «conseil de régence» dans lequel on trouvait trois cousins de son père sous la protection de deux beaux-pères paternels. Le nouveau Kabila II, né de mère tutsie rwandaise et parlant plus facilement le swahili et l’anglais que le lingala et le français, a hérité d’un géant divisé en trois zones occupées où l’État n’existait plus, sauf à Kinshasa. Dans son premier discours à la Nation, le 26 janvier 2001, le «plus jeune président du monde» a promis l'«ouverture» du régime hérité de son père et a adressé spécialement sa «gratitude» à la France, rappelé les «liens historiques» avec la Belgique et affirmé vouloir «normaliser ses rapports avec la nouvelle administration américaine». Bref, tout portait à croire, dès ce moment, que le régime de Kabila II allait continuer et perpétuer celui de Kabila Ier, reprenant celui de Mobutu, lequel rappelait sans aucun doute celui de Léopold II. La seule probable nouveauté résultant de la disparition du Mzee demeura un éventuel retrait progressif des forces étrangères d’occupation sous les auspices du Conseil de sécurité de l’ONU. De son côté, le président de l’Ouganda, un autre Mzee, a déclaré au quotidien New Vision de Kampala: «On ne peut éternellement se faire accuser de rester au Congo pour y voler de l'or!» Bien que Kabila II soit plus habile en anglais qu'en français, il a dû favoriser le français comme langue officielle, car il s'est sans nul doute heurté à un mur d'inertie. Pourtant, il a bien tenté d'imposer l'anglais comme langue co-officielle avec le français. Par ailleurs, depuis son arrivée au pouvoir, Kabila II a vu son pays s'enfoncer dans les guerres ethniques. Le Congo-Kinshasa est aux prises avec des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants en train de se faire massacrer parce qu'ils ne sont pas de la «bonne ethnie». Cet immense pays semble trop grand au point que cela devint son drame. La capitale, Kinshasa, est à l'extrémité ouest, au bout du monde, et il n'y a pas de route sûre qui la relie à Bunia ou à Bukavu, à l'extrémité est. En février 2005, la République démocratique du Congo s'est officiellement dotée d'une nouvelle constitution censée mettre fin à des décennies de dictature. La Constitution, qui opte pour un régime semi-présidentiel dans un État unitaire fortement décentralisé, a été approuvée à plus de 84 % par référendum le 18 décembre 2005.
En juillet 2006, des élections présidentielles ont eu lieu au Congo-Kinshasa et étaient censées mettre ce vaste pays sur la voie de la paix et de la prospérité. Bien que Kabila II était donné favori dans les cercles occidentaux, il était contesté comme «étranger», voire un «Rwandais», par de nombreux Congolais. Ceux-ci n'ont pas semblé apprécier qu'il ait déclaré dans une entrevue à Jeune Afrique qu'il lui suffisait de parler le swahili, langue de l'est du pays, et que le lingala de Kinshasa, l'une des langues nationales, n'était pas d'une grande importance. Quoi qu'il en soit, les résultats partiels obtenus au 20 juillet donnaient Joseph Kabila premier avec 44,98 % des voix, contre son plus proche adversaire, Jean-Pierre Bemba, avec 20 % des voix, qui a fait campagne en lingala. Kabila a recueilli les votes de l'est du pays, Bemba, celles de l'Ouest. Le second tour des élections présidentielles est prévu pour le 29 octobre 2006. |
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